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BLOG DE PHILOSOPHIE
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8 mars 2018

Le désir INTRODUCTION Etymologiquement, le mot

Le désir

 

                                           INTRODUCTION

 

Etymologiquement, le mot désir vient du verbe latin (desiderare) qui signifie constater l’absence de quelque chose. Ainsi le désir est lié à la notion de manque : nous désirons souvent une chose qui nous manque. Le désir est donc une tendance, un mouvement, un élan vers quelque chose qui m’intéresse mais qui n’est pas ma propriété et que je cherche donc à obtenir.

Que désirons-nous? Qu’est-ce qui motivent nos désirs? Désirons-nous les choses pour leurs valeurs ou pour d’autres raisons ? Quel est le but final du désir ? Comment bien désirer ? Quelle philosophie pour un meilleur désir ?

 

I. L’homme, un être de désir

 

1. Que désire l’homme ?

 

De toutes les espèces vivantes, l’homme est le seul être qui désire. Son effort de conservation s’accomplit dans son désir. C’est pourquoi Spinoza affirme que le désir (ou l’Appétit) « n’est rien d’autre que l’essence même de l’homme. » Le désir n’est pas donc un phénomène accidentel chez l’homme mais un phénomène naturel et humain. Le but du désir humain est la conservation de la vie (Voir la partie II de ce chapitre). Mais qu’est-ce que les hommes désirent pour préserver leur vie? Plusieurs choses. Une infinité  de choses. Ces choses sont-elles les mêmes ? Non. On peut les classer généralement en deux grands groupes : d’un côté, il y a les désirs vitaux ou les désirs naturels et nécessaires (Epicure) et, de l’autre, les désirs artificiels. Les désirs vitaux sont les désirs dont la privation entraine l’arrêt de la vie. Sans le désir vital, la vie n’est pas possible. Par exemple, boire, manger, dormir, se reproduire, etc. sont des désirs vitaux et nécessaires. On appelle aussi ces désirs les besoins. Le besoin est une tendance naturelle et biologique vers un objet vital ; il porte sur un nombre de choses limité. Ces choses sont universelles : car ils sont identiques chez tous les hommes (et même essentiellement chez les êtres vivants). Ils sont naturels et invariables.

 

En revanche, les désirs artificiels (ou conditionnels) désignent tous les désirs qui portent sur des choses non nécessaires à la vie. Le désir artificiel est donc de l’ordre de l’imaginaire ; il est indéterminé, variable, puisqu’il dépend de la culture, de l’environnement du désirant. Il est particulier, individuel, changeant et illimité. Ainsi l’homme peut désirer entre autre une personne (une personne aimée, une célébrité..), une idéologie, un culte, une religion, une activité (sportive, sociale..), etc. Cependant, il est difficile parfois de délimiter clairement la frontière qui sépare entre les différentes catégories de désirs, entre le nécessaire et l’artificiel,  l’utile et l’inutile. Car si manger est un besoin naturel, la nourriture qu’on mange et la manière de l’assouvir peuvent relever du désir. L’homme peut satisfaire artificiellement un désir nécessaire et vital (boire de coca cola). Il peut jusqu’à transformer l’artificiel, le superflu en nécessaire vital, en indispensable (le khat, l’alcool, la drogue, etc.)

 

2. Que cherchons-nous dans les désirs ?

 

Quel que soit l’objet désiré, l’homme désire les choses pour se procurer du plaisir. La finalité de notre désir, c’est la satisfaction, le plaisir. Cette finalité hédoniste du plaisir est bien vue par Epicure. Epicure, le philosophe du jardin, explique que la satisfaction du désir se termine nécessairement par la joie, la jubilation, le plaisir. C’est la recherche du plaisir qui anime donc notre désir. Si l’objet désiré n’est pas source de plaisir, personne ne le désirerait. Pourquoi désire-je, par exemple, le voyage ? Je désire voyager pour découvrir d’autres pays, pour passer des moments agréables dans des endroits magnifiques, touristiques et très visités : la Tour Eiffel de Paris, la plage de Rio de Janeiro, le Lac Assal de Djibouti, les Pyramides de l’Egypte, etc. L’homme a connu la satisfaction, la joie, le plaisir : dans le jardin d’Eden, l’homme vivait en abondance. Il ne lui manquait rien. Il n’avait aucun désir, aucune douleur, aucune souffrance (le Coran). Il veut revivre nostalgiquement cette vie joyeuse dans ce monde à travers ses désirs.  

 

Animé par le plaisir, le désir est le moteur de notre existence. Il est au service de la survie de l’humanité. La visée suprême de notre désir, c’est la préservation de la vie (Spinoza). Il est l’expression de notre puissance, de notre force, un excès de vie, une volonté de conservation, etc. Darwin et Freud partagent tous les deux cette idée de Spinoza. Darwin propose une théorie qui postule que l’évolution des espèces serait régulée par la sélection naturelle. La nature sélectionne par le biais des mutations génétiques, du hasard, de la nécessité les êtres les mieux adaptés à leurs milieux, et éliminent les êtres peu intéressants. Dans sa théorie de l’inconscient, Freud montre, de son côté, que le désir est une tendance. Le désir veut toujours se manifester, s’exprimer. Même lorsqu’il est refoulé et interdit par la conscience pour son caractère immoral, le désir ne s’endort jamais, il cherche opiniâtrement à s’exprimer, il s’active inlassablement.

 

Le désir, c’est aussi ce qui élève l’homme au-dessus de l’espèce animale. Ce qui distingue l’homme de l’animal. L’animal ne désire pas. Il n’a que des besoins, mais pas des désirs. Le désir est donc spécifiquement humain car seul un être humain désire quelque chose. Il est aussi  responsable de la grandeur de l’espèce humaine. Car l’homme conscient de son imperfection, de sa misère et de son malheur désire la perfection, la satisfaction, le divertissement (Pascal) : le désir tire l’homme vers la perfection, le progrès, le bonheur. L’animal stagne, sa condition de vie ne bouge pas. Car l’animal imparfait ignore son imperfection et ignore le parfait.

 

Cependant, peut-on dire que l’homme est vraiment heureux avec son désir ? Le désir est avant toute chose la constatation d’une absence, d’un manque (Platon). Le vide laissé par ce manque cause une souffrance chez l’homme. Le désir commence donc par une souffrance, mais il se termine aussi par la souffrance ou par l’ennui. Schopenhauer explique que telle une pendule qui oscille entre deux pôles, l’homme se balade incessamment entre deux souffrances. Il veut fuir la souffrance par le désir, mais ce dernier l’achemine vers la souffrance. L’homme est encerclé par la souffrance, une souffrance présente partout. Le point de départ du désir, c’est la privation, la frustration, le manque. Pour combler ce manque, le sujet se lance à la recherche de la chose désirée afin de l’acquérir. Or, pour obtenir la chose désirée, le sujet désirant doit engager une énergie, un effort considérable. Il doit se donner de la peine pour la satisfaction de son désir : une autre souffrance. Mais une fois son désir réalisé avec tant de peines et de souffrances, le sujet n’est pas entièrement satisfait du résultat, il est déçu, il souffre encore. C’est ce que Rousseau constate très bien dans cette très belle formule : « on n’est heureux qu’avant d’être heureux ». La joie est dans l’attente de la satisfaction, la satisfaction imaginaire du désir, et non dans la possession réelle de la chose. L’imagination est plus plaisante que la réalité. La fin du désir pourrait donc être désagréable, insatisfaisante.

 

Pire encore, le sujet n’aura pas le temps de digérer la maigre satisfaction tirée de son désir. La satisfaction du premier désir déclenche une avalanche d’autres désirs. Plusieurs autres portes s’ouvrent, d’autres espoirs naissent et d’autres désirs se profilent à l’horizon. C’est le début d’un nouveau cycle de souffrance. Un cycle de souffrance (et ennui) mais aussi de conflit, de violence. Puisque nos désirs sont illimités, infinis et sans bornes, ils peuvent croiser, se frotter et percuter les désirs des autres désirants. Peut donc naitre de ce choc entre les trajectoires de nos désirs des conflits, des violences. Dans son œuvre Le Léviathan, Hobbes s’intéresse à cet aspect particulier du désir. En analysant les désirs des hommes, il conclut que ces derniers ne désirent pas vraiment les objets mais le pouvoir, l’honneur, l’orgueil, la supériorité. Les hommes désirent volontairement les objets désirés par d’autres hommes pour les avoir et montrer aux autres leur supériorité, leur pouvoir. Chaque homme lutte, selon Hobbes, pour anéantir le désir de l’autre et d’affirmer le sien : c’est la « guerre de tous contre tous ».

 

Dans ce monde d’ici-bas, le désir est par essence insatisfait. On ne peut pas satisfaire définitivement notre désir, mettre fin à tout désir. Il est impossible de réaliser une satisfaction définitive du désir, car chaque fois qu’un désir est satisfait, un autre apparaît. Seule la mort peut mettre un terme à l’insatiabilité du désir humain. Le désir n’est-il pas rien d’autre que le désir de la mort ? Ce que Nietzsche appelle la « pulsion de mort ». La recherche effrénée de la satisfaction totale de tous nos désirs n’est-elle pas la recherche de la mort, d’une vie morte et sans désir. Ou bien est-elle, au contraire, la manifestation d’un désir désespéré d’immortalité comme expliquait Diotime à Socrate dans un dialogue de Platon. La procréation, la recherche de la gloire, de la célébrité par la politique, l’art, le sport… ne sont-ils pas les témoins de ce désir d’immortalité ? Une immortalité physique à travers la procréation, la généalogie, … Et une autre « selon l’âme » : à travers la poésie, la musique, l’art, la littérature, la doctrine, la théologie, etc. 

 

 

II. La motivation de notre désir

 

 Pour la philosophie traditionnelle, les choses sont désirées en fonction de leurs utilités et de leurs valeurs.  Une chose n’est donc désirée par les hommes que si elle a une utilité, une valeur particulière. Selon cette explication, le désir de la chose est déterminé par la chose elle-même. C’est la chose désirée qui détermine le désir. C’est elle qui active notre désir par sa désirabilité. Sinon comment désirer une chose sans aucune valeur de désirabilité ? Peut-on désirer l’indésirable? Il semble donc évident que la chose est désirée quand elle est désirable, et qu’elle n’est pas désirée quand elle est indésirable. Le sujet désirant ne désire que ce qui est désirable, il ne désire pas la chose non désirable. Mais cette idée est vraie, si et seulement si la chose désirable est désirée par tout le monde ; autrement dit si la chose désirable serait universellement désirée. Alors pourquoi ne désirons-nous pas les mêmes choses ? Pourquoi nos désirs sont-ils particuliers et non identiques ? 

 

Spinoza semble avoir une réponse à cette question. Pour Spinoza, la valeur de désirabilité d’une chose n’est pas déterminée par la chose elle-même, mais par le sujet désirant : c’est parce que nous la désirons qu’une chose est désirable. En réalité, elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Ainsi, pour Spinoza, si nous désirons une chose, ce n’est pas pour sa valeur, mais, c’est parce que nous l’investissons illusoirement une valeur : « nous ne désirons pas les choses parce qu’elles sont bonnes ; elles nous semblent bonnes parce que nous les désirons » lit-on dans sa citation. C’est pourquoi les hommes ne désirent pas les mêmes choses. C’est pourquoi nos désirs sont si différents et si variés les uns des autres. Chacun désire des objets qu’il valorise subjectivement. Ce qui est subjectivement désiré par moi n’est pas objectivement désiré par mon ami – ou un proche. Nous nous trompons dans nos désirs, car nous ignorons véritablement les vraies causes de nos désirs. Nous avons conscience de nos désirs, ils ne sont pas inconscients, mais nous ne connaissons pas les causes réelles qui expliquent nos désirs.

 

René Girard a une troisième explication : il introduit un nouvel élément entre le sujet désirant et la chose désirée. Pour ce philosophe, le désir n’est pas linéaire, il est triangulaire. Un désir est linéaire lorsque le rapport entre le désirant et le désiré, entre le sujet qui désire et l’objet désiré est direct, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a aucun médiateur, aucun autre élément étranger entre les deux. Selon la thèse de Girard, notre désir est triangulaire, il n’est pas rectiligne. Dans sa description du mécanisme du désir mimétique, il observe qu’il existe une présence humaine entre le sujet et l’objet désiré. Le sujet désire une chose médiatement, par l’intermédiaire d’un autre sujet : c’est la chose désirée par un autre que nous désirons, nous voulons posséder la même chose qu’autrui, copier son désir, jalouser sa satisfaction. Cette situation entraine une rivalité. Le désir mimétique est source de violence. Pour casser ce cercle vicieux et stopper cette violence permanente, la société invente un bouc émissaire et canalise cette violence sur quelqu’un, un ennemi commun : d’où le sacrifice.

 

Hegel rejoint lui aussi la conception de René. Il écrit que l’objet de notre désir n’est que l’objet du désir de l’autre. C’est essentiellement le désir du désir de l’autre, c’est l’imitation des désirs des autres. Ce mécanisme est bien compris par les publicités qui mettent en scène une star, une personnalité très célèbre ou une personne quelconque, jouissant d’un objet ou d’une marchandise afin de réveiller chez le spectateur une jalousie, un désir mimétique. Ce n’est pas la valeur de l’objet ou du produit présenté qui nous intéresse mais la personne qui la possède : ces chaussures sont désirables parce qu’elles elles sont chaussées par Messi ; cette lunette est désirable parce qu’elle est portée par Brad Pitt. Ce n’est pas la  lunette en soi que désire le sujet, mais c’est la personne qui la porte qu’il désire. Je veux porter la même lunette que Brad Pitt, les mêmes chaussures que Messi, avoir la même coupe que Rihana, prier de la même façon que notre prophète MOHAMAD (PSL), etc.

 

Mais quelle que soit la motivation de notre désir, une question se pose : toute chose est-elle désirable ? L’homme doit-il tout désirer ? Notre désir doit-il avoir une limite ? Quelle philosophie devrons-nous adopter pour bien désirer : la maitrise de nos désirs ? L’annulation de tous nos désirs ? La satisfaction anarchique de nos désirs ? La sublimation des désirs ?

 

III. Quelle attitude faut-il adopter devant nos désirs ?

 

1. Minimiser les désirs

 

La philosophie stoïcienne conseille au sujet désirant de désirer uniquement les choses dont la satisfaction est facile et à sa portée. Le stoïcisme classe les désirs en deux : les superflus et inaccessibles, et les désirs accessibles et réalisables. Selon ce courant philosophique, pour ne pas souffrir, il ne faut pas chercher les désirs superflus, luxueux dont la satisfaction demande des moyens gigantesques. La philosophie stoïcienne veut que l’individu ne vise que les désirs qu’il peut réaliser pour qu’il puisse vivre heureux ; ils déconseillent des hommes de courir derrière des choses qu’ils ne peuvent pas atteindre, qui sont en dehors de leur portée. La recherche de ce genre des désirs qui nous dépassent peuvent nous conduire à la déception et donc à la souffrance. Désire ce que tu peux avoir, et oublie ce que tu ne peux pas avoir : nous dira un stoïcien.

 

On retrouve cette même philosophie de vie dans les religions. Par exemple, notre religion, l’islam, préconise à ses fidèles de désirer le peu, le minimum, l’accessible, et se désintéresser du difficile, du luxueux et de l’impossible. Notre prophète (PSL) nous a montré le chemin : il vivait modestement avec peu de choses, partageait le surplus avec les autres (la nourriture, la richesse, etc.). Humble, discret, modeste, on n’arrivait même pas à le distinguer de ses compagnons. Ses compagnons ont suivi son exemple : par exemple, OMAR, le quatrième calife qui gouvernait un vaste territoire dormait sous les arbres, cuisinait la nuit pour les démunis, etc. Quel bel exemple de vie ! Quels grands hommes ! Quelle belle religion ! Quelle sage philosophie ! Quelle grande sagesse !

 

2. Maximiser les désirs.

 

Nietzsche s’oppose à cette ligne philosophique stoïcienne. Pour ce philosophe, la pensée stoïcienne est une castration de l’homme, une condamnation du désir. C’est une dépréciation de la vie. La morale stoïcienne empêche l’homme de vivre, de s’épanouir, en lui enfermant dans une vie misérable qui tourne autour de quelques désirs fixes, figés. Il refuse de museler, de réprimer ses désirs ; il veut donner un libre cours à tous ses désirs, s’enivrer et maximiser les plaisirs. Pour lui, l’homme est un être de désir, donc d’angoisse, il a choisi le repos, la capitulation. Il recherche des consolations dans les sphères idéales métaphysiques. Nietzsche défend donc un désir excessif : désirer tout, le possible, l’impossible, le facile, le difficile, le satisfaisable, l’insatisfaisable, etc. Pour lui, tout est bon à désirer ; il faudrait maximiser nos désirs pour jouir pleinement de notre vie et goûter abondamment le plaisir de la vie, la joie, la satisfaction, le bien-être. Mais, faut-il désirer anarchiquement, irrationnellement ? Ou faut-il rationaliser et organiser notre désir afin de tirer le meilleur de lui ?

 

3. Rationaliser les désirs   

 

Pour Epicure, le désir doit être organisé et rationalisé. Epicure établit une classification, une hiérarchisation des désirs. Tous les désirs ne sont pas identiques. Il y a le bon désir, le mauvais, le moral, l’immoral, l’impossible, le possible, le nécessaire, le superflu, le fou, le logique et rationnel, etc. Pour bien exploiter et rentabiliser notre désir, une classification des désirs s’impose. Il faut premièrement satisfaire les désirs naturels et nécessaires (manger, boire, dormir, se reproduire, etc.), car ce sont des désirs vitaux. Ensuite, viendra la deuxième position les désirs naturels mais non nécessaires (ex. la sexualité). On pourrait troisièmement s’intéresser aux désirs non naturels et non nécessaires, les désires vains (ex. désirer une montre en or, telle marque de voiture, désir du luxe, etc.). On pourrait ajouter à ces trois catégories une quatrième catégorie : les désirs non naturels, mais nécessaires : pratiquer une activité sportive régulièrement pour la bonne santé du corps, s’éduquer, etc.)

 

Donc selon la pensée épicurienne, il est important d’hiérarchiser ses désirs, en les classant selon leur importance, leur nécessité. Selon ce classement, il est donc bien logique de manger avant de consommer le khat, de désirer l’utile avant de désirer l’inutile - par exemple, nous désirons les salles de jeu, le jeu de cartes,  le khat, la cigarette en abandonnant l’école, l’étude, l’éducation, le savoir, la philosophie, la culture, la famille, le pays, etc.- Faire ainsi, c’est inverser l’ordre logique du désir, c’est désirer l’inutile et oublier l’utile. En effet, il faut sélectionner que les désirs qui nous procurent bonheur, plaisir, et éviter ceux dont nous ne pouvons pas satisfaire. Bref, l’homme est un être raisonnable et pensant, il doit penser et rationaliser ses désirs. Autrement dit, l’homme doit maitriser et être maître de ses désirs et non pas être le jouet et l’esclave de ses propres désirs et passions.

 

 

4. Sublimer les désirs

 

Certains de nos désirs sont nuisibles à la vie, à la survie de l’espèce. Ce sont des désirs pervers, des pulsions sexuelles, agressives, libidinales, opposés aux normes de la société. Alors comment traiter ces désirs pervers ? Ces pulsions sauvages et animales ? Pour Freud, la meilleure façon de s’occuper de ces désirs serait de les orienter vers un but avantageux à l’individu et à la société. Freud pense qu’il est possible de canaliser positivement un désir pervers, désagréable, négatif et de le rendre agréable, moral, humain, bénéfique. C’est la théorie freudienne de « la sublimation des désirs pervers ». Par exemple, le désir de la guerre qui se manifeste chez l’homme violent peut être sublimé dans le sport (le boxe, le rugby…) ou dans le militaire au service de la défense de son pays, de sa patrie. 

 

Nietzsche va de sa part s’opposer à la manière dont l’église aborde le désir. Selon Nietzsche, l’Eglise réprime le désir, elle ne veut pas que l’homme désire. Elle est en guerre contre la passion, le désir et donc contre la vie. Elle veut anéantir toute passion, tout désir chez l’homme : elle tue la vie. Mais quelle est la solution ? Nietzsche veut « spiritualiser » les désirs. Au lieu de réprimer les passions, de les castrer, il est plus humain, plus intelligent de les sublimer, de les embellir, de les diviniser. Castrer le désir, ce n’est pas une bonne solution. C’est bête. Le déraciner, l’exterminer, c’est castrer la vie, déraciner la vie : « attaquer la passion à sa racine, c’est attaquer la vie à sa racine : la pratique de l’Eglise est nuisible à la vie… », regrette-t-il.

 

5. Supprimer les désirs

 

Mais il y a aussi ceux qui pensent qu’il n’est pas bon de libérer nos désirs. Il ne faudrait ni exprimer sauvagement nos désirs, ni les calculer, ni les sublimer. Il faudrait tout simplement les supprimer entièrement. Supprimer plutôt que d’exprimer ou de sublimer. Tuer plutôt que de spiritualiser. La belle vie, c’est la vie sans désir. Le désir, c’est la souffrance, c’est l’insatiabilité, c’est un tonneau percé qu’il est impossible de remplir (les tonneaux des Danaïdes). En effet, pour se débarrasser de la souffrance et de l’insatiabilité, on doit se débarrasser de sa cause : le désir lui-même.

 

La philosophie bouddhiste (chérit par Schopenhauer) propose une vie purifiée de tout désir : elle favorise la méditation, le yoga, la vie spirituelle et annule la vie matérielle. Par exemple, le moine bouddhiste ne doit rien désirer. Il ne désire pas la sexualité, car il n’a pas le droit de se marier et de gouter au plaisir sexuel. Il ne désire pas la richesse, il doit être modeste, pauvre, démuni. Il ne désire pas la bonne gastronomie, il doit manger peu, mendie sa nourriture dans les rues, partager avec les autres moines, ne pas se rassasier….. Bref, il doit vivre sans désir.     

 

 

                                       

                                                  CONCLUSION

L’homme est par essence un être de désir (Spinoza). Le désir est une des principales caractéristiques de l’humain. C’est ce désir qui conditionne notre vie et la conservation de notre être : car l’homme désire avant toute chose les choses vitales à son être : la nourriture, l’eau, le sommeil, la sexualité, la reproduction, etc. S’il ne désire pas ces désirs vitaux, il mourra, il ne survivra point. Ces désirs naturels sont communs aux hommes et aux animaux. Les animaux, eux aussi des êtres vivants, désirent leur besoin pour continuer à vivre.

Mais le désir humain dépasse celui animal en s’attachant à des choses non vitales et non nécessaires à son existence. L’homme a la particularité de désirer l’artificiel, le non nécessaire, le non vital, le non naturel. Il veut conserver sa vie, survivre, mais il veut aussi vivre mieux, confortablement et agréablement. C’est la raison pour laquelle il ne se limite jamais aux seuls besoins (désirs vitaux). Par le désir, il veut vivre, mais vivre dans le bonheur, dans la joie, il veut aussi le pouvoir, la gloire, la richesse, la réputation, la domination, l’immortalité, etc.

Mais le bonheur n’est pas toujours au rendez-vous. Le désir plonge l’homme, à la recherche du bonheur, dans la souffrance, la frustration, l’angoisse, l’insatisfaction, la déception. Recherchant le bonheur, l’homme se retrouve nez-à-nez avec la souffrance et la violence. Et finalement, les hommes se trouvent devant l’évidence que le désir est dangereux. C’est une épée à double tranchant qu’il faudrait manier avec beaucoup de prudence. Comment alors bien désirer ?

Pour la philosophie stoïcienne, la meilleure manière de désirer correctement serait de minimiser nos désirs. On doit désirer les choses accessibles et faciles à réaliser et laisser tomber les choses très complexes, luxueux, très difficiles à obtenir. On retrouve cette même position dans la religion comme l’islam. Pour ne pas souffrance, la seule solution, nous dira un moine bouddhiste, serait de se détacher de tout désir matériel. Pour supprimer la souffrance, il faudrait supprimer sa cause : en l’occurrence le désir. Nietzsche, lui, se rebelle contre ces philosophies minimalistes ou nihilistes, il propose le désir maximum, le désir sublimé, le désir vivant. Pour lui, tout est bon à désirer, l’homme doit vivre pleinement son désir. 

C’est Epicure qui nous apporte, me semble-t-il, la solution la plus raisonnable. Epicure veut diviser les désirs en naturels nécessaires et en vains. Seuls les désirs naturels et nécessaires méritent d’être satisfaits pleinement. Il ne nous interdit pas des autres désirs, mais il conseille au désirant de bien rationnaliser ses désirs. Chaque désir doit être étudié, analysé, son avantage et son désavantage doivent être pesés avant de choisir le bon. Il faut un désir responsable, intelligent, satisfaisant, heureux.

 

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