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BLOG DE PHILOSOPHIE
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4 mai 2019

PARLER EST-CE LE CONTRAIRE D’AGIR ?

                      PARLER EST-CE LE CONTRAIRE D’AGIR ?

 

Pour l’opinion commune, la parole est contraire à l’action. Celui qui parle est communément vu comme quelqu’un qui ne fait rien, qui n’agit pas, qui ne change rien. Il est qualifié de « beau parleur », de « bavardeur ». Les gens valorisent celui qui change les choses, celui qui travaille. Mais la parole est-elle contraire à l’action ?

Il est possible de dire que celui qui parle n’agit pas dans le sens où il ne fait pas des activités, il ne produit pas concrètement quelque chose. Il semble donc normal de dire que le parleur n’agit pas concrètement. Toutefois, l’action ne peut pas être séparée entièrement de la parole. Avant d’agir, il faudrait d’abord parler de son action, parler du projet de l’action à venir. De plus, la parole elle-même peut avoir des effets réels sur la réalité.

D’où le problème philosophique qui est de savoir si la parole est véritablement contraire à l’action ou si, au contraire, parler est une forme d’action et une autre manière d’agir sur le réel.

On verra donc dans une première étape de notre analyse que la parole n’est pas une complète passivité. Ce qui ne signifie pas pour autant, comme nous montrerons dans la deuxième partie de notre analyse, que la parole est réellement une action. Avant de finir d’expliquer, dans une dernière partie, les pouvoirs des mots et l’impact concret de la parole sur notre réalité.

 

Parler consiste à prononcer, à formuler des sons pour communiquer une signification à quelqu’un d’autre ou à d’autres personnes. La parole mobilise des organes vocaux et des activités cérébrales. Quand on parle, notre corps et notre esprit parlent. C’est d’abord l’esprit qui parle ; pour parler il faut d’abord commencer par penser. A ce propos, Platon fait savoir que « la pensée est un dialogue silencieux de l’âme avec elle-même ». Le corps aussi s’active quand on s’apprête à parler : la bouche, la langue, les lèvres... Plusieurs organes sont sollicités au moment de la parole.

La parole n’est pas donc de tout repos comme nous le fait penser l’opinion commune. Parler est même fatiguant, épuisant et difficile. Les professeurs qui enseignent, les politiciens qui participent à des compagnes électorales dépensent une quantité d’énergie dans l’acte de parler. Parler, c’est donc être actif mentalement et physiquement. Certes, nos paroles n’ont pas les mêmes niveaux de force. Dans les petites discussions entre amis, dans les bavardages, il est vrai que la parole exige moins d’effort et moins de sérieux.  

Mais si la parole nécessite activité, peut-elle être aussi considérée comme une  action ? Parler et agir est-ce équivalents ?

Il est vrai que la parole nécessite une certaine activité, mais il n’en est pas moins vrai que la parole ne peut pas être équivalente à une action. L’action, contrairement à la parole, est la modification matérielle de la réalité. Agir, c’est créer des nouvelles choses à partir d’autres choses (naturelles ou culturelles). L’homme étant, si on reprend l’expression de Bergson, un « homo faber », un être qui fabrique et qui produit des outils, des objets, des machines. Il produit une nouvelle chose, il ajoute quelque chose à la réalité. Celui qui agit est donc celui qui travaille, qui produit, qui crée, qui invente un produit matériel. Ce sont les techniciens qui font l’action, qui fabriquent, qui exécutent les opérations de la réalisation pas les parleurs.

Agir, c’est aussi changer et modifier la réalité. On pourrait, par exemple, détruire quelque chose, la réparer, la modifier. Ainsi, un mécanicien qui répare une voiture en panne, même s’il ne produit pas par là quelque chose de nouveau, change quelque chose qui était déjà là. Il répare une pièce abimée ou casée par une autre. On agit aussi quand on améliore une situation : les politiciens ne font pas que promettre comme on les accuse souvent, ils concrétisent aussi des actions. Comme on leur demande toujours, ils leur arrivent parfois de joindre des actes aux paroles, de tenir leurs promesses : ils votent des nouvelles lois jugées nécessaires, abolissent des anciennes lois jugées mauvaises. Ces actions politiques ont des réelles conséquences sur la vie quotidienne du peuple : sur les salaires, les loyers, le chômage, etc. On attend ainsi de la politique de changer les choses, d’améliorer les niveaux de vie des gens, des citoyens.

Il est donc évident que l’action, par sa transformation matérielle de la réalité, par ses opérations concrètes, se distingue nettement de la parole. Cette dernière est incapable de faire ce que peut faire l’action. On reproche ainsi à la parole de s’opposer à l’action. La parole pourrait même être un refuge pour ceux qui ne souhaitent pas agir ou qui ne peuvent pas agir. Ainsi celui qui ne veut pas agir, a la possibilité de parler, de prolonger la parole pour retarder l’action. Et avec ce proverbe « demain ne finit jamais », on peut dire qu’avec la parole, les fausses promesses, les mensonges, il serait possible de reporter toujours l’action à demain, au mois prochain, à l’année prochaine, etc. En effet, si on ne veut pas agir, réaliser quelque chose, on a qu’à parler, qu’à promettre d’agir, qu’à mentir, qu’à inventer des prétextes… Comme c’est le cas dans le monde politique, les politiciens promettent par des beaux discours la pluie et le beau temps. Or, la pluie et le beau temps se font toujours attendre malgré mille et une promesses électorales par mille et un politiciens. Parler n’amène pas malheureusement la pluie et le beau temps, agir si.

C’est pourquoi Karl Marx préfère l’action à la parole. Il rejette la parole théorique, interprétative, commentatrice du monde, de la réalité. Car, à l’opposé de l’action qui change le monde (positivement ou négativement), la parole maintient le monde tel qu’il est sans le changer. Karl Marx veut voir la classe ouvrière à l’action, en révolution, il veut voir la destruction de l’Etat, l’expropriation de la classe bourgeoise, l’institution d’une société égalitaire, communiste.

Mais la parole est-elle si opposée à l’action ? N’est-il pas impossible d’agir sans la parole ? Et les mots n’ont-ils pas des conséquences réelles sur la vie (ou la réalité) des hommes ?

La parole participe à l’action. Avant toute action, il est préalablement nécessaire de parler, de discuter, d’échanger pour mettre en place un projet. Sans la parole, il est impossible de concevoir ensemble un projet. Ainsi au moment de la conception du projet à réaliser, la parole est incontournable. La parole sera aussi présente au moment de l’exécution du projet, au moment de sa réalisation matérielle. Les techniciens (les travailleurs) doivent parler entre eux pour faire ce qu’ils ont à faire. Il n’est pas donc si pertinent de séparer intégralement la parole de l’action.

Par ailleurs, la parole ne fait pas qu’accompagner l’action qui transforme la réalité, elle arrive, d’une manière indirecte, à changer les choses, et plus particulièrement les hommes. On peut penser avec Gorgias que les mots ont des pouvoirs et que celui qui maitrise la rhétorique, l’art de bien parler, serait capable d’avoir ce qu’il veut et agir sur les hommes comme il le veut. Platon nous montre, dans un dialogue, Gorgias avancer et défendre le pouvoir de la parole. Il avance que le rhéteur domine par son art de parler tous les autres hommes (les ignorants comme les éduqués) : ils dominent les médecins, les banquiers, les assemblés, les foules. Disons, tout le monde.

Par la parole, il est aussi possible de changer les états psychologiques de l’homme, ses comportements, ses sentiments, ses idées. Avec les mots, nous communiquons nos sentiments, nos pensées, nos émotions… En effet, la parole ne peut pas changer l’extérieur, le corps de l’individu, car le corps est une matière, seule la matière peut changer la matière. Si le corps n’est point sensible à la parole, ce n’est pas le cas de la psychologie, de l’âme, de notre intériorité. Par la parole, nous pouvons percer le corps de l’homme pour atteindre son intériorité. Nos paroles touchent et impactent positivement (paroles joyeuses, aimables, positives) ou négativement (paroles blessantes, insultantes, déplacées, annonciatrices des mauvaises nouvelles) notre âme profonde.

N’oublions pas non plus que la parole est capable aussi de changer les comportements des hommes. Elle est capable de bouleverser nos principes, nos modes de vie…Aujourd’hui avec le terrorisme on a ces propagandes religieuses fanatiques qui attirent des jeunes et moins jeunes aussi dans leur filet. Et ces nouveaux convertis changent leurs anciens modes de vie, leurs principes… Ils adhèrent à un nouveau mode de vie, une nouvelle manière  de vivre, etc. Des jeunes qui auparavant étaient sociaux, sympathiques, ouverts, se radicalisent, se renferment, se désocialisent. Et un jour, ils passent à l’action ; ils tuent des innocents, se font exploser, se donnent la mort en donnant la mort à d’autres.

Même si cet aspect négatif de la parole sur les comportements des hommes est la plus visible et la plus médiatisée, il est important de rappeler que la parole change aussi les comportements des hommes dans le bon sens. Les mots peuvent améliorer aussi les comportements des uns. Les parents, par exemple, conseillent leurs enfants pour qu’ils changent leurs mauvais comportements : et ça marche souvent. Si on parle avec pédagogie, avec amour, avec respect…

On ne peut pas finir cette analyse sans aborder avec John Austin la fonction performative de la parole. Le philosophe nous explique que dire peut être synonyme de faire. Certaines paroles peuvent avoir un effet réel sur notre réalité et sur notre vie. Elles entrainent un changement réel de la situation. Ces paroles, que J. Austin appelle les énoncés performatifs, nous font passer d’un état à un nouvel état, d’une situation à une autre. Voici quelques exemples concrets pour illustrer ces énoncés performatifs : quand un employeur dit à son employé qu’il est licencié, ce dernier, à partir de ce moment où cet énonce est prononcé, ne sera plus un employé dans ce service. Pire encore, il sera plus un travailleur, un employé mais à partir de ce jour, il sera parmi les chômeurs jusqu’au jour où il trouvera un nouveau travail. Pareille, quand un époux dit à sa femme « je te divorce », « tu est divorcé de moi », selon la religion musulmane, sa femme ne sera plus sa femme s’il énonce cet énoncé à trois reprises. Elle sera définitivement divorcée de lui, du moins sur le plan religieux.

 

Disons pour conclure la réflexion qu’il n’est pas très pertinent d’opposer la parole à l’action. Certes, la parole n’implique pas toujours l’action, mais cela ne signifie nullement qu’elle est complètement passive et inactive. Par la parole, l’homme initie et accompagne l’action pour la concrétiser. Et toujours par la parole, l’homme pourra aussi agir sur l’homme que ça soit sur le plan psychologique, sentimental, performatif…

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Commentaires
W
C'était un plaisir de vous lire et maintenant les choses me semblent plus limpide!
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