Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG DE PHILOSOPHIE
BLOG DE PHILOSOPHIE
  • Bienvenue ! Ce site est un blog de philosophie destiné particulièrement à mes élèves de terminale. Je publie dans le blog des cours, des textes expliqués, des sujets de dissertation corrigés, des citations philosophiques expliquées, etc.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
BLOG DE PHILOSOPHIE
Visiteurs
Depuis la création 513 402
1 mai 2020

JUSTICE ET DROIT (2)

 

                              LE FONDEMENT DU DROIT

 

JUSTICE

Pour beaucoup, la nature incarne l’ordre, l’harmonie, la beauté... C’est pourquoi certains philosophes, comme Descartes, déduisent l’existence de Dieu, l’être parfait de l’harmonie et de l’ordre du cosmos (Cf. la démonstration ontologique de Dieu, chapitre religion). De ce fait, la nature a toujours servi un modèle pour les hommes sur plusieurs plans : esthétique (voir l’art), technique, médical, juridique, etc. Concernant la justice, les lois humaines se sont en grande partie conformées aux lois naturelles. Le droit naturel repose effectivement sur la nature des choses. Il suppose des lois naturelles et de ce fait une justice naturelle. Là où s’applique un droit naturel, on observe des lois naturelles et il se déploie une justice naturelle. Par exemple, selon le droit naturel, l’homme se permet de tuer les animaux et de les manger. Tuer un être humain est considéré comme un crime puni par la loi, ce qui n’est pas le cas si on tue un animal. Conformément à la nature, l’homme jouit naturellement le droit de se nourrir des animaux. Il se donne naturellement le droit de les tuer, de les égorger, de les cuire et de les manger. Ce n’est pas un crime contre l’animal. Parce que c’est quelque chose qui est naturellement nécessaire et vitale pour lui. C’est alors dans la nature des choses que les hommes se nourrissent des animaux. Si les hommes ne mangeaient pas la viande des animaux, ils ne survivraient pas. Les interdire de se nourrir de la viande des animaux, c’est de les condamner à la disparition, même si aujourd’hui, il est possible de vivre sans les viandes et que les régimes végétariens (sans viandes) se développent, ce n’était pas toujours le cas avant. Pour les hommes primitifs (nos ancêtres) qui ne savaient pas encore cultiver ou qui vivaient dans des zones géographiques très arides et où rien ne pousse, la viande des animaux qu’ils chassaient, ou les poissons qu’ils pêchaient étaient leur seule source de nourriture.

 

Il est également dans la nature des choses que les hommes (et même les animaux) se reproduisent entre eux. Pour engendrer des nouvelles générations, les hommes doivent féconder des femmes. C’est à l’issue de cette fécondation qu’on aura la naissance d’un nouvel individu, d’un bébé. Or on sait que la fécondation débouche à la grossesse et à l’accouchement si les choses se passent normalement bien. On sait aussi que la grossesse et l’accouchement sont des périodes difficiles pour les mères et les femmes enceintes. De ce fait, même si c’est douloureux, même si c’est difficile, même si chaque année beaucoup de femmes meurent malheureusement pendant l’accouchement dans le monde, les lois n’incriminent pas pour autant les hommes pour avoir mis enceinte leurs femmes et pour être responsables de la mort de celles-ci pendant l’accouchement. Si c’est comme ça, c’est parce qu’on ne peut pas faire autrement, c’est dans l’ordre des choses, c’est la nature qui en a décidé ainsi.

 

Tout droit humain doit donc naturellement s’inspirer et se conformer à la nature. De ce fait, la loi humaine doit se fonder sur les lois naturelles pour ne pas être contre-nature et contre-productive. Et à Victor Cousin d’affirmer en ce sens : « Le droit positif repose sur le droit naturel », puisque ce dernier constitue le fondement du droit positif, c’est sa « mesure » et « sa limite ». Il insiste sur le fait que « la loi suprême de toute loi positive est qu’elle ne soit pas contraire à la loi naturelle ». En effet, une loi qui interdit la reproduction entre les hommes et les femmes serait absurde et dangereuse à la vie, car contraire à l’ordre des choses et à la vie. En revanche, une loi qui interdit la tuerie est une loi conforme à la nature, car il est contre la nature et l’ordre des choses que des hommes tuent d’autres hommes. C’est pourquoi les lois de tous les pays condamnent unanimement et sans exception le meurtre.

 

Cette position jus-naturaliste soutenue par Victor sera surtout soutenue et avec une grande ferveur par Calliclès, un personnage du Gorgias de Platon. Pour Calliclès, les lois de la nature doivent régner dans la société. En effet, les plus forts doivent dominer parce qu’ils sont naturellement destinés à être supérieurs aux autres. Mais, selon ce personnage du dialogue de Platon, les lois humaines déstabilisent l’ordre naturel en abolissant les lois naturelles ; ces lois sociales, consenties naturellement, comme il le soupçonne, par les faibles, visent, en remplaçant les lois naturelles, à inverser l’ordre naturel des choses. Elles affaiblissent les forts et fortifient les faibles : les faibles dominent les forts et les forts se soumettent aux faibles. Calliclès considère donc les lois conventionnelles comme contre-nature et contraires aux lois naturelles.

 

Par exemple, on pourrait considérer que l’homme est plus fort naturellement que la femme. Une femme est physiquement plus faible qu’un homme. Par conséquent, conformément au droit naturel, l’homme devrait dominer la femme. Mais en instituant des lois égalisant juridiquement la femme à l’homme, il se passe que la femme dirige l’homme. Comme on voit dans nos sociétés modernes ou des femmes deviennent chefs de gouvernement ou présidentes. Si on n’avait pas établi ces lois conventionnelles, les hommes auraient dominé les femmes comme ils faisaient avant et il n’y aurait jamais eu une femme présidente ou patronne d’une entreprise. Ainsi, pour les théoriciens du droit naturel à l’image de Calliclès, les lois humaines ne doivent pas se soustraire ou s’opposer aux lois naturelles ; elles doivent découler de celles-ci.

 

Cependant, le droit naturel souffre de plusieurs faiblesses. Premièrement, rien ne garantit la justice du droit naturel. La nature peut être elle-même injuste et dans ce cas, il faudrait l’intervention des hommes pour instituer des lois plus justes. Puisque le droit naturel est en partie injuste, s’impose donc la nécessité d’un droit humain pour rétablir la justice dans la nature elle-même. Dieu lui-même, le créateur de la nature selon les religions, constatant l’injustice dans sa nature, devance les hommes et édicte à ses créatures des lois divines pour rendre celles-ci plus justes. En effet, le Dieu de la religion musulmane interdit à l’homme, sa créature, de s’approprier illégalement des biens d’un autre homme. Ainsi, il est défendu au plus fort d’abuser du plus faible. De même, Dieu, ayant distribué la richesse inégalement aux hommes, décrète des lois qui obligent les richesses de donner aux pauvres : en ce sens, la zakat ou l’aumône est obligatoire en islam, elle fait partie de cinq grands piliers de l’islam.

 

Par ailleurs, scientifiquement parlant, les lois naturelles lient entre des phénomènes. Elles définissent les rapports nécessaires entre les phénomènes ou les faits et elles supposent une relation causale entre ces phénomènes (cause et effet). Par exemple, il est scientifiquement admis que la pluie provient du nuage. Le nuage est la cause de la pluie et la pluie l’effet du nuage. Pour que la pluie tombe, il doit nécessairement y avoir du nuage. Sans le nuage, il ne peut aucunement pleuvoir. C’est scientifiquement impossible et inconcevable. Par contre, il est possible d’avoir du nuage sans pluie. C’est-à-dire des nuages peuvent se former sans qu’il y ait de la pluie.

 

En effet, physiquement, la relation entre la cause et l’effet est nécessaire et éternelle. Elle ne change pas et ne se modifie pas sous aucune condition quelconque. Aucune autre cause ne pourra produire l’effet produit par une cause déterminée. Par exemple, le cri du lion ne peut pas produire de la pluie indépendamment des nuages, c’est-à-dire sans nuages. La loi naturelle est donc, sur le plan scientifique, descriptive : elle dit ce qui est, elle décrit comment les choses sont dans la nature. Or ce qui compte pour la justice c’est comment devrait être les choses. Sont-elles justes ou injustes ? Si elles sont injustes comment les rendre plus justes ? C’est ça qui intéresse les hommes. Déduire des normes et des valeurs de la nature serait illusoire comme le fait bien remarquer Kelsen. Les normes doivent être instituées extérieurement aux êtres et aux faits. Et Kelsen insiste : « s’imaginer découvrir ou reconnaître des normes dans les faits, des valeurs dans la réalité, c’est être victime d’une illusion ».

 

Or si physiquement les phénomènes obéissent à des relations causales stables et nécessaires, les rapports des hommes ne sont pas soumis à cette causalité. Parce que les faits humains ne sont pas déterminés mais accomplis par des volontés libres, elles échappent fondamentalement aux lois physiques de la nature. Disposant de liberté (naturelle et civile), les hommes agissent librement et déterminent librement leurs actes. Ils ne sont pas régis par des lois naturelles qui orientent leurs actions. Il faudrait donc des lois juridiques qui régissent sur les humains et qui limitent leur liberté. Et ces lois doivent être instituées par les hommes eux-mêmes. Sans ces lois humaines, la société ne pourrait aucunement se mettre en place et se développer ; on vivrait à l’état de nature, dans la peur, dans la violence, dans « la guerre de tous contre tous » (Cf. Hobbes).  

 

Le droit naturel manque aussi d’effectivité, c’est un droit qui n’est pas effectif. Or un droit ineffectif ne pourrait pas se réaliser concrètement. Les lois naturelles ne reposent pas sur une autorité contraignante qui garantit son exécution et son application. Dans les religions, comme c’est le cas dans la nature, ce sont les dieux qui contraignent aux hommes de respecter les lois divines. Or, comme l’on peut bien observer, les hommes se manquent des dieux et se permettent les délits interdits par les lois divines. Ils transgressent librement et volontairement ces lois. Conséquence, les lois divines ne sont plus effectives dans les sociétés. Certes, la religion promeut aux transgresseurs des châtiments et des punitions des plus sévères à l’au-delà, mais ces avertissements et ces châtiments ne persuadent point les hommes de transgresser ouvertement les interdits religieux ou de se décharger des obligations religieuses. Par exemple, dans la religion musulmane, il est interdit de consommer le vin (la drogue), mais certains musulmans ne se gênent pas à picoler. L’islam oblige aussi à ses croyants de s’acquitter quotidiennement cinq prières obligatoires, or beaucoup sont les musulmans qui prient occasionnellement ou au pire qui ne prient même pas. S’il existait un droit naturel (divin) effectif : il ne serait pas nécessaire de recourir à un droit positif, on n’aurait pas eu besoin d’un deuxième droit vu que le premier suffit et marche bien.

 

D’autre part, les lois de la nature ne sont pas forcément universelles. Car elles proviennent généralement de Dieu, de la religion, et comme il y a plusieurs religions et que les hommes croient en plusieurs dieux différents et adhérent, de ce fait, à des croyances différentes, il serait difficile de parler d’un même droit naturel. Il serait judicieux, dans ce cas, de parler de plusieurs droits naturels et non pas d’un droit naturel universel. Ce qui remet en cause le supposé universalité du droit naturel, or un droit relatif ne pourrait s’imposer à toutes les sociétés. D’où la nécessité d’accepter un droit propre à chaque société et qui serait indépendant du droit naturel : c’est-ce qu’on appelle le « droit positif » ou le droit  conventionnel.

 

Le droit positif s’oppose au droit naturel. Contrairement au droit naturel (ou divin), le droit positif repose sur un ensemble de règles et de lois institué par les humains. C’est donc un droit humain. Il vise à régir sur les rapports entre les membres de la société. Il couvre tous les aspects de la vie sociale : il y a un droit constitutionnel, un droit commercial, un droit pénal, un droit civil, un droit familial, un droit international… Le droit positif n’est valable que dans une société humaine politiquement organisée dans laquelle existe des institutions politiques opérationnelles : l’institution parlementaire, l’institution judiciaire, l’institution exécutive, l’institution policière, celle militaire, etc.

 

En réalité, sans ces multiples institutions politiques, les lois seront inutiles et vaines. L’institution parlementaire, par exemple, a pour mission d’établir les lois juridiques. Les parlementaires discutent des lois proposées par le pouvoir exécutif et votent pour promulguer une loi. Une fois la loi votée par le parlement, elle sera effective dans le pays. Son application sera assurée par le pouvoir judiciaire, c’est-à-dire l’institution judiciaire. Les juges ont pour mission de trancher les différends entre les individus (les citoyens) ou entre les individus et les institutions politiques conformément aux lois en vigueur dans le pays. Sur le terrain, l’application de la loi est assurée par la police nationale et par la gendarmerie ; elles veillent au strict respect des lois nationales sur l’ensemble du territoire. La police (et la gendarmerie) doit porter devant la justice tout individu (citoyen ou étranger) qui enfreint les lois du pays, c’est aux juges ensuite de faire leur travail judiciaire. Si ces institutions fonctionnement correctement et conformément à la constitution du pays, les choses se passeront bien dans la société : on parle dans ce cas d’un Etat de droit. En revanche, si les institutions en place sont corrompues ou symboliques, la société plonge dans le désordre, dans la violence, et risque de couler.

 

Le droit positif se veut donc contraignant et efficace. Un droit qui juge, qui tranche, qui corrige, qui sanctionne et qui marche. La justice humaine compte toujours sur le pouvoir de ses institutions politiques et sur sa répression pénale.  Les lois ne misent aucunement sur la bonne volonté (ou de la morale) humaine pour s’exercer parfaitement. Puisque les hommes sont conduits par leurs intérêts individuels, et non forcément par l’intérêt commun, d’où la violation massive des lois par ces derniers aveuglés par leurs penchants. C’est ce que confirme Platon lorsqu’il écrit ceci : « Personne n’est juste volontairement mais par contrainte ». Par le mythe de l’anneau de Gyges, Platon nous fait comprendre que l’homme n’agit pas moralement mais par contrainte et par peur de sanction. Si un homme pouvait magiquement (comme Cyges, le personnage de son mythe) agir sans être vu et puni, il se serait permis de violer toutes les lois pour satisfaire ses désirs et ses intérêts personnels, C’est sur la force publique (la police, la justice, la gendarmerie…) que doit dépendre l’effectivité des lois, l’ordre social, le respect des droits…et non sur la bonne volonté et la conscience morale des hommes.

 

 

 

Par ailleurs, le droit positif ne se pose pas comme un droit transcendent et éternel. C’est, au contraire, un droit évolutif, un droit qui se développe. Il n’est pas à l’abri d’une possible réforme, il est réformable, modifiable. Si une loi est contre-productive ou contestée par les citoyens, elle pourra être rectifiée voire même abolie. C’est le cas de l’esclavage. L’esclavage était une pratique autorisée (ou du moins non interdite) dans plusieurs pays esclavagistes. Les hommes pouvaient prendre comme esclaves d’autres hommes. Et généralement, les lois n’interdisaient pas aux citoyens nationaux d’acheter des esclaves étrangers, majoritairement des esclaves africains (noirs). Mais par la suite, sous la pression des contestations anti-esclavagistes, les anciens pays esclavagistes ont interdit juridiquement l’esclavage dans leurs pays. Le droit international (et le droit particulier de chaque pays) stipule que les hommes sont libres et égaux et interdit, de ce fait, l’esclavage. Ainsi, les lois conventionnelles des pays évoluent et se modernisent : elles se dissocient de toutes les pratiques anciennement autorisées mais qui sont aujourd’hui considérées comme incompatibles avec la modernité et la démocratie (comme l’esclavage, la torture, la persécution religieuse, le racisme, etc.)

 

Enfin, contrairement au droit naturel qui se veut universel, le droit positif lui ne prétend pas à l’universalité, comme il ne peut pas prétendre à l’éternité. C’est un droit particulier, un droit relatif. Il est dit relatif parce qu’il est propre à une société particulière. Chaque société a son propre droit positif. Ainsi, le droit positif varie selon les sociétés, les peuples, les Etats. Le droit français diffère de celui djiboutien. Par exemple, dans notre droit, il n’est pas interdit par la loi de consommer le khat. Presque tout le monde consomme librement cette plante éthiopienne. Or, dans le droit français, la consommation du khat est un délit puni par la loi. Le khat est interdit en France comme dans plusieurs autres pays européens et non européens. Cet exemple souligne le caractère extrêmement relatif du droit humain. Un autre exemple est celui concernant la drogue : dans plusieurs pays, la consommation (et la vente) de la drogue est interdite par la loi quand d’autres pays dépénalisent la consommation ou la vente de ce stupéfiant.

 

Si on prend un autre exemple, dans le droit islamique, en vigueur dans certains pays musulmans, le vin est interdit, sa consommation est un délit anti-islamique. En revanche, dans le droit allemand, la consommation du vin n’est pas défendue. Il relève de la liberté de chaque citoyen de consommer ou pas le vin. Il importe toutefois de préciser que sa consommation est encadrée sous certains conditions par la loi : par exemple, le conducteur ne doit pas avoir un taux élevé d’alcool dans son sang quand il conduit, il est aussi interdit par la loi de vendre l’alcool à des jeunes mineurs qui n’ont pas encore atteints l’âge majeure. On peut multiplier les exemples jusqu’à l’infini. On peut s’étonner de cette relativité du droit et Pascal ne manque pas de s’étonner de ce droit géographiquement limité : « Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité