« L’homme n’est pas un empire dans un empire »

SPINOZA

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Cette citation philosophique de Spinoza reflète sa position déterministe en ce qui concerne la liberté de l’homme. Pour l’auteur de l’Ethique, seul un être qui est la cause de lui-même peut être pleinement libre. Comme par exemple Dieu. Dieu est pensé, selon la conception panthéiste de Spinoza, comme un Tout qui contient tous les êtres existants. Ce Tout, c’est la nature. Dieu est envisagé comme la « nature naturante » ou « la cause causante ». Dès lors la liberté appartient à l’être qui est la cause de sa propre existence et aucunement à celui dont la vie est la cause d’une cause extérieure à lui. Ces êtres causés sont soumis, selon Spinoza, à la nécessité absolue de la nature à laquelle ils appartiennent. Ils ne disposent d’aucune possibilité de liberté.

Par conséquent, Spinoza refuse la liberté sur la base de sa philosophie panthéiste à toute « nature naturée». Car il ne voit aucune possibilité de contingence dans une nature de nécessité. Tout existant élémentaire de la nature est régi par la nécessité absolue de la nature. Aucun être ne peut être libre et maître de son action (mouvement). Et c’est valable pour l’homme aussi. Spinoza écarte l’idée d’une volonté libre chez l’homme. L’homme ne peut pas être une exception selon l’auteur de la citation. Il est soumis à la même loi que les objets. Mais est-ce vrai ? L’homme n’est-il pas capable d’agir librement ? N’a-t-il pas le sentiment d’être libre ?

Pour Spinoza, l’homme peut avoir conscience de son acte, de ce qu’il fait, de ce qu’il veut. Mais il n’est pas la cause initiale de son action. Son action lui est extérieure. Il a l’illusion d’agir par lui-même mais il ne sait pas la cause derrière son action. Pour illustrer cela, Spinoza prend l'exemple d’une pierre qui tombe. Il nous invite à imaginer une pierre qui est en chute et qui a reçu son mouvement d’une cause extérieure à elle : un tremblement de terre par exemple. Cette pierre qui a reçu son impulsion d’un agent extérieur à elle continue nécessairement son mouvement de chute. Spinoza se demande donc ce qu’elle penserait d’elle cette pierre si elle pourrait être consciente à cet instant précis dans lequel elle est en pleine chute de son mouvement. Spinoza répond qu’elle se croirait être libre pour son mouvement et qu’elle penserait se mouvoir tout seul. Ainsi, la pierre consciente que de son effort et inconsciente de l’origine de son mouvement et de la cause réelle qui le meut, attribuera la permanence de son mouvement qu’à sa seule volonté et qu’à son désir de vouloir continuer à se mouvoir.

Qu’est-ce qu’il faut retenir de cet exemple ? Il est évident à quiconque que la pierre ne peut jamais prétendre à la liberté. Mais cet exemple n’est pas dirigé à la liberté de la pierre, mais à celle de l’homme. Le but pour Spinoza, c’est de montrer que telle la pierre l’homme est inconscient de la cause de son agir. Il ne sait que ses désirs et ses actes mais jamais la cause réelle de sa volonté. « Telle est la liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir. C’est avoir conscience de ses désirs et ignorer les causes de ces actes » écrit le philosophe. Telle la pierre, l’homme peut avoir conscience de ce qu’il fait, de ce qu’il dit, de son mouvement, de son agir. Mais comme c’est le cas pour la pierre en chute libre incapable de savoir la cause de son mouvement, l’homme est incapable lui aussi de connaître la cause qui est responsable de son action. Il l’ignore. Il a l’illusion d’être la seule cause de son action. Ce qui n’est pas vrai selon Spinoza.

Pour bien illustrer cet argument, l’auteur avance cette fois-ci des exemples concernant des actions humaines. Le premier exemple est celui d’un enfant en train de téter le sein de sa mère. Selon le dire du philosophe, ce petit enfant se croirait libre en faisant cette action encore pour lui instinctive. Il est conditionné par sa nature vivante et par son instinct de survie. Car il est encore petit et inconscient pour savoir ce qui est bien pour lui ou ce qui est nuisible pour lui. Il n’a aucun discernement sur ce qu’il faut poursuivre et ce qu’il faut fuir. Il pourra poursuivre ce qu’il fallait fuir ou fuir ce qu’il devrait poursuivre. En ce sens, il n’est pas rare de voir un petit enfant qui se jette dans le feu ou qui porte à sa bouche ce qui pourrait lui couter la vie : boire une bouteille d’essence, avaler un médicament prescrit pour une maladie grave, les exemples ne manquent pas à ce sujet. Cet enfant encore dépourvu de tout discernement et toute conscience ne peut agir que par son instinct naturel qui est la cause de tout son mouvement vers un quelconque objet.

On pourra légitimement objecter à Spinoza qu’il s’agit là d’un enfant inconscient et qu’il faudrait peut-être mieux illustré cela avec un adulte plus conscient. Et alors Spinoza semble vous avoir entendu même s’il est déjà mort. Il propose dans un autre exemple le cas d’un homme adulte. C’est le cas d’un ivrogne. On sait par expérience pour ceux qui ont déjà côtoyé des ivres que ce dernier dit n’importe quoi et son contraire quand il est dans un état d’ivresse avancé. A cet instant, il se voit libre et il croit dire ce qu’il a voulu librement dire ou faire ce qu’il voulait faire. Mais ce n’est qu’une illusion. Il agit et il parle sous l’effet de l’alcool. Ce n’est pas lui qui parle, c’est le nombre de verres qu’il a bu qui parle. Ce n’est pas lui qui agit, c’est la quantité d’alcool qui coule dans ses veines qui agit à sa place. Il n’est maître d’aucun de ce qu’il dit et de ce qu’il fait même s’il a illusoirement l’impression d’agir librement. Il n’a conscience que de son acte et non de son état d’ivresse, du taux d’alcool dans son sang. Il ignore tout ça. Il pense être libre mais il ne l’est pas. La preuve, selon Spinoza, ce n’est qu’après son retour à son état de sobriété qu’il se rendra compte de son délire et du dégât qu’il a fait. Ce n’est que plus tard que son âme saura qu’elle a dit ce qu’il aurait voulu ne pas dire, ou avoir fait ce qu’elle n’aurait jamais imaginé faire. Mais c’est trop tard, le mal est déjà fait comme on dit.

Spinoza formule donc ici une conception radicalement déterministe face à la liberté humaine. Il cherche à soutenir que l’apparente sensation de liberté chez l’homme n’est que le résultat d’une illusion. Ce qui est vrai pour la pierre et pour tout être du monde est vrai aussi pour l’être humain. Peut-être à la seule différence que l’homme a conscience de son action, là où les tous autres êtres n’en ont aucune conscience. Mais cette conscience n’est pas liberté. Elle ne peut pas être la condition absolue de la liberté humaine. En effet, l’homme n’est pas un empire qui échappe exceptionnellement à l’empire naturel. Il est un élément de l’empire soumis comme tous les autres éléments à la loi de la nature. Seule Dieu, le Tout est pourvu de liberté et de volonté libre, pas l’homme.

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