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BLOG DE PHILOSOPHIE
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7 juin 2023

Le silence signifie-t-il un échec du langage?

 



Le silence est-il un échec du langage ?  

Le langage est un exercice incontournable dans la vie des hommes. C’est un pouvoir de communication qui permet à l’homme de parler, de communiquer sur son intérieur et sur son extérieur avec ses semblables. Dans notre société moderne, à l’ère des réseaux sociaux, la communication avec les autres est omniprésente : même quand nous sommes seuls chez nous, nous communiquons avec nos amis sur les réseaux sociaux. Celui qui ne parle pas est mal vu, incompris, peu fréquenté. Le silence définit comme l’absence de mots, de parole, d’un langage articulé, est alors, comme le présuppose le sujet, jugé comme un échec de communication et de langage.

Mais le silence est-il véritablement un échec du langage? Etre silencieux, est-ce échouer à communiquer ? Ou faut-il envisager le silence comme une autre manière de communiquer ? C’est ce problème qui sera l’objet de notre réflexion dans ce sujet. 

Il s’agira d’abord de montrer que le silence est la marque d’une communication difficile ou impossible. Ensuite, il sera montré la place centrale du silence dans le langage. Et enfin, l’analyse montrera la possibilité de communiquer avec le silence. 



On ne parle pas pour ne rien dire. Parler, c’est signifier quelque chose, c’est dire un sens, c’est communiquer une signification. Avant de parler, on doit donc pouvoir dire ce qu’on veut dire. Or il nous arrive d’éprouver parfois des difficultés quand on veut dire une chose. Cette difficulté relève du fait que la langue ne nous permet pas de dire toute chose. Nous communiquons dans une langue composée de signes communs à tout le monde. Comme le montre si bien le philosophe Bergson, notre besoin de partager avec l’autre notre vie intime se heurte à une communication impersonnelle. Il est donc difficile pour le sujet parlant de dire ce qui est personnel et intime à lui dans le langage articulé. C’est surtout nos sentiments qui sont les plus difficiles à exprimer tels quels sont avec le langage. Quand le langage ne peut pas fidèlement dire ce qu’on veut exprimer alors faut mieux se taire et ne rien dire. 

Je peux aussi avoir peur de parler devant les autres. Devant un public, devant des personnes que je ne connais pas, si on m’invite de parler, de s’exprimer, je pourrais refuser de prendre la parole par peur d’être critiqué, de ne pas savoir quoi dire, de mal parler. Je peux avoir peur d’être ridicule devant le public, de ne pas retenir leur attention… On échoue alors à communiquer, on a peur de ne pas être entendu, écouté, c’est une situation qui nous échappe. On peut se dire que tout a était dit, qu’il n’y a rien à ajouter. Inutile de dire ce qui est évident. Il pourra aussi nous arriver d’avoir peur de blesser l’autre si on parle : si on dit ce qu’on pense, ce qu’on ressent. On ne veut pas faire souffrir l’autre, et surtout quand l’autre est quelqu’un qui est très proche de nous, un ami, un membre de la famille, un amour… On se retranche alors dans le silence par peur de blesser ou de mal parler.  

Finalement, le silence peut représenter une communication rompue entre deux parties. Il peut être la rupture de communication entre des personnes. Par exemple, si deux amis qui discutaient bien avant et qui étaient très proches constatent un problème entre eux et qu’ils se séparent, ils vont plus s’adresser la parole. Ca sera le silence total entre eux. Ils n’ont rien à se dire, puisqu’il y a un conflit ou un autre problème entre eux. De même, dans un dialogue ou une négociation, si les parties en présence ne s’entendent pas bien, et qu’ils n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente ou un accord (en cas de conflit), la communication cesse entre les parties. Et quand la communication échoue entre les négociants, c’est le silence. 

Mais le silence est-il toujours extérieur à la parole ? N’est-il pas nécessaire à toute communication sérieuse ? 


La parole ne peut pas réussir sans le silence. Pour pouvoir bien communiquer avec l’autre, il est tout de même nécessaire de faire preuve d’écoute et d’attention à ce que l’autre dit quand il parle. La nature ne nous a pas donné pour rien les deux oreilles. Dans un dialogue, celui qui parle doit d’abord écouter et tendre son oreille à ce que son interlocuteur dit pour penser à ce qu’il dira lui à son tour. Si tout le monde parle simultanément sans s’écouter, il n’y aura aucune communication possible. Si je n’écoute pas l’autre, je ne peux pas converser correctement avec lui. Je dois d’abord m’approprier sa parole, la comprendre, la saisir, et cela ne peut pas se faire sans l’écoute et donc sans le silence. Car le silence, c’est le moment de l’écoute de la parole de l’autre. Le silence n’est pas donc un échec de communication, mais il est ce qui rend la parole réciproque, ce qui organise le dialogue. Sans l’écoute, sans le silence, la parole ne sera qu’un monologue avec soi-même et jamais un dialogue avec l’autre. Pour cela, c’est celui qui sait se taire et bien écouter qui pourra bien parler. Celui qui n’écoute pas ce que l’autre dit ne peut pas parler avec pertinence mais superficiellement. 


De plus, avant de parler, il faut penser. « Il  faut tourner sa langue mille fois avant de parler » comme disait le proverbe. L’art de la rhétorique n’est se limite pas à bien parler, mais aussi à bien penser avec de parler. C’est le silence qui précède la parole qui détermine la valeur de ce qui sera dit. Le silence est donc une étape déterminante dans la communication. Car le silence n’est jamais un silence total et absolu. Le silence extérieur est une parole intérieure. On peut être en silence extérieurement mais notre intérieur n’est jamais silencieux. Notre intérieur est toujours bruyant de mots. On ne cesse jamais de penser. On pense toujours. On pense quand on parle et quand on ne parle pas. Ainsi, le temps du silence est nécessaire pour penser, pour organiser ses pensées et pour dire une parole qui correspond à ce qu’on pense. Parler, c’est agencer un nombre de signes pour pouvoir signifier. Or une infinité de combinaisons est possible quand on s’apprête à parler. Sans la pensée, il ne sera pas possible de bien parler. Le silence est donc un moment de pensée pour mieux parler, il est la condition d’une parole consciente, pensée et efficace. 


Il est clair donc que le silence est incontournable avant la parole. Mais il l’est aussi pendant la parole. Pour se faire comprendre, il faut marquer des pauses dans son discours. La parole ne doit pas être un long fleuve de mots ininterrompu. Le discours doit être découpé en mots, en phrases, en paragraphes pour être bien compréhensible et significatif. Il est nécessaire de mettre des pauses entre les mots. Le silence accompagne en effet toute parole sensée. Il est présent pendant la parole aussi. Parler, c’est alterner entre silence et son, entre silence et signe. Le silence ne peut pas donc être séparé du langage à aucun moment : il s’impose avant, pendant et après la parole. Il est interne au langage. Le silence ne doit pas donc être considéré comme un échec du langage, mais comme une des conditions essentielles de toute communication verbale. 


Le silence loin d’être un échec de communication ne peut-il pas être une autre manière de communiquer ? Ne peut-il pas être même plus parlant que le langage articulé lui-même ? 


Le silence peut dépasser le langage qu’il organise. Il peut être une manière de dire, de parler sans articulation. Pour qui le sait interpréter, le silence est riche de significations. C’est un discours sans mots, une parole sans voix. Les mots, les sons, ne sont pas les seules choses qu’on utilise quand on communique. Il est possible de parler à travers son corps sans dire un seul mot. Le visage est comme on dit la porte de l’âme. Il est l’écran de notre intérieure. Il affiche des émotions qui se lisent sur le visage de notre interlocuteur. Et le corps peut même nous trahir quand ce qu’on dit ne correspond pas à ce qu’on pense ou ce qu’on ressent. Le plus difficile n’est pas le contrôle de la langue, mais le contrôle de son corps. 

Le corps parle donc, les faits parlent, les gestes parlent, les comportements parlent : On peut signifier sans parler, communiquer sans dire. Ne pas parler ne signifie pas donc ne rien communiquer. Le silence est parlant, il peut même être plus parlant que le langage. Le silence est une forme de communication sans voix, sans son : il est possible de communiquer sans parler. Il n’est pas toujours nécessaire de parler, de prononcer pour dire quelque chose, pour parler. Par exemple, si on ne veut pas parler, discuter avec les autres, dans la famille, avec les amis, parce qu’on est fatigué ou on a quelque chose à faire, il nous arrive de rester silencieux quand l’autre cherche à discuter avec nous pour faire savoir à l’autre qu’on ne veut pas discuter ou qu’on n’a pas le temps de bavarder. C’est plus parlant et même plus efficace que de dire à son interlocuteur qu’on n’a pas envie de parler, de bavarder, car ce dernier pourrait insister qu’on parle un peu.


De plus, il n’est pas nécessaire de parler tout le temps. Si dans une discussion, quelqu’un a dit ce qu’on voulait dire, alors on pourra voir qu’il est inutile de redire ce qui a été dit. Si on reste silencieux, ce qu’on est d’accord avec ce qui a été dit et qu’on n’a pas quelque chose à ajouter. Et il y a un proverbe somali qui dit en ce sens : « on ne parle pas pour parler ». Le silence pourrait ainsi signifier un consentement. On peut donc être en silence mais cela ne signifie pas que la communication a échoué. Tout silence n’est pas ainsi une absence de communication. Le silence peut être un moyen de signifier quelque chose qu’il n’est pas efficace de signifier avec la parole. Trop de parole peut nuire à l’efficacité de la communication. 



Le silence est vu comme un échec de communication quand il est difficile de communiquer et quand on renonce à communiquer avec l’autre. Il n’est pas souhaité chez l’homme parlant, car il est synonyme aussi d’incompréhension : on ne peut pas comprendre celui qui ne parle pas, le silencieux est  mystérieux. Mais le silence ne peut pas être dissocié de la parole et de la communication. Il permet l’écoute de l’autre, l’attention, le dialogue efficace avec l’autre, l’efficacité de notre discours. De plus, le silence est parlant, il n’est jamais silencieux : il signifie consentement, respect, il signifie prudence, retenue, maitrise de soi, etc. Loin d’être un échec de communication, le silence est une autre manière plus efficace et plus économique de communiquer. 


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